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Abstraction / Figuration

Dans un temps très passé, comme vous

j’ai eu 2 grand-mères. L’une, dame – patronnesse – femme de patron maîtresse de sa maison priait au milieu d’hommes en robe et visitait les pauvres ouvrières. L’autre, immigrante, veuve d'ouvrier, vivait de ménages, de repassages, de récoltes et des visites de dames – patronnesses –.

 

Ma grand-mère française pensait que son fils avait épousé une juive. Une femme sans doute.

Ma grand-mère italienne pensait que sa fille avait épousé

un turc. Un homme sans doute.

 

Silencieux, dans toute leur étrangeté,

mes grands-pères ont été ouvrier fondeur et patron ingénieur.

L’un est mort un détonateur à la main au milieu des cris, l’autre est mort tremblant sous les prières.

 

Le lumpen-prolétariat de culture rurale venu de Lombardie

en Italie / Le patronat catholique des cités industrielles du Nord de la France. La lutte entre ces deux univers s’est jouée dans les corps, ceux des enfants et petits-enfants.

 

Enfant, j'ai observé, j’ai eu l’occasion d’étudier intensément l’art et les formes de la distinction. Cette curiosité, envers les multiples nuances d’expression des différences sexuelles, culturelles, sociales ne m’a jamais quittée.

Plus tard, je découvrirai les sciences humaines
et je fréquenterai les beaux-arts sans oser m’y « inscrire ».

Je prendrai un temps considérable à tenter de concilier

les mondes dont je suis issue, essayer de recoudre la toile, ravauder ce manteau d’arlequin que sera le cours de ma vie, comme pour me démontrer combien je suis toute à la fois ouvrière et patronne de moi-même.

 

De fait, je conçois et je fais ; plasticienne, j’ai pouvoir

de donner la forme ! J’observe cette lutte que nous vivons tous et qui ne se dit pas, qui toujours ne se dit plus (mais pourquoi ne le dit-il pas !) et je sors de mes poches des idées, des paroles, des images, des constructions, des jeux.

 

Je travaille beaucoup, j’expose quelques fois, j’enseigne souvent, je ne finis jamais ; je dis être artiste, comme

s’il s’agissait d’un visa pour ma place en société. 

Je pense effectivement l'être, artiste, probablement tout simplement, pour réunir des inconnus autour du travail.

Du vrai travail : faire ressentir la proximité physique de l’autre, la réalité physique du faire, du dire, de l’exister. 

 

Êtres-vivants ensemble un instant.

N’est-ce pas notre seule liberté ?

 

Marguerite Fatus, Paris octobre 2010

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